Projets personnels

Le silence de Violette, nouveau projet documentaire

Je travaille actuellement sur un nouveau film documentaire. Pour en savoir plus, lire ici :

https://memoire.ciclic.fr/carnet-de-residence-issoudun-julie-biro-donne-de-la-voixe-pour-violette-noziere

Leanyfalu, le jardin secret de ma grand-mère

En 2022, j’ai commencé un projet artistique sur le jardin de ma grand-mère. Grâce à la Fondation Landis & Gyr, j’ai passé trois mois à Budapest. Cette petite vidéo donne un aperçu de mes premières recherches. Depuis, ce projet s’est développé en projet de film docu-fiction.

Un long voyage dans les Balkans

Depuis de nombreuses années, je vais dans les Balkans : Bosnie-Herzégovine, Serbie, Kosovo, plus rarement Croatie et Albanie. Lorsque je travaillais dans les ONG, tout était détruit et l’avenir était incertain ‘là-bas’. Les choses ne sont pas plus sûres ou réjouissantes aujourd’hui mais elles sont devenues incertaines ‘ici’ et ailleurs, disparition de la biodiversité et réchauffement climatique “aidant”. Je continue à m’y rendre. Et je m’y sens bien aujourd’hui comme hier. Mon regard change, nos rapports se transforment. Une vraie relation vivante.

Retour à Višegrad, mon premier long métrage documentaire

Voici le trailer !

Quatre années de travail, d’écriture, de voyages, de séjours à Višegrad et aux alentours, quatre années de repérages, de tournages, montage et de post-production s’achèvent.

© Retour à Višegrad, Louise Productions.

Je n’étais pas seule dans cette aventure. Il y a d’abord eu ma productrice, Elisa Garbar qui y a cru, puis Antoine Jaccoud appelé en renfort pour l’écriture et à qui j’ai ensuite proposé que nous réalisions ce film ensemble. Ensuite il y a eu les tournages pendant un an avec notre équipe, chef op, ingénieur du son, chauffeur, traducteur interprète, puis notre monteur, et l’équipe d’étalonnage et de sound design et de mixage.

© Retour à Višegrad, Louise Productions.

Voilà, en plein confinement planétaire, notre film documentaire est terminé. Alors j’attends que les salles de cinéma réouvrent, que des festivals aient lieu pour de vrai, que notre distributeur puisse envisager une sortie. Je suis à la fois extrêmement heureuse qu’il existe enfin et très frustrée de ne pouvoir le montrer et le voir dans une salle de cinéma. Il va falloir attendre encore et ne pas lâcher.

© Amel Djikoli
Antoine Jaccoud et moi, pendant le tournage en février 2018 dans une petite auberge près de Subotica (Serbie).
© Antoine Jaccoud

Court-métrage : No Name (2011)

En 2011, je me suis formée à la réalisation documentaire aux Ateliers Varan. J’y ai réalisé mon premier film documentaire No name. Milomir Kovaćevič est photographe originaire de Sarajevo. Il vit à Paris depuis qu’il a dû fuir son pays pendant la guerre. Je l’ai suivi dans ses déambulations parisiennes en cherchant à rendre visibles les traces de son passé. Pour voir le film en français :

Pour voir la version bosnienne du film, c’est ici : https://vimeo.com/juliebiro/noname-bcs

Le mur est bleu comme une orange (texte publié sur Arte pour le vingtième anniversaire de la chute du mur, 2009)

La chute du mur de Berlin, c’est le début de ma conscience politique. La réappropriation de mon histoire allemande. Une fenêtre qui s’ouvre sur la mémoire cachée et silencieuse de ma mère. Le moment où je vais pouvoir aller à Schöneweide, sur les lieux de son enfance. Mon plus grand rêve d’enfant. Des gouttes d’émotion qui abondent. Regarder encore et encore les images à la télé et avoir la rage au ventre de ne pas être debout sur le mur ce soir-là.

La chute du mur de Berlin, elle m’appartient, elle fait partie de ma vie. C’est un pied de nez à mon histoire, mon héritage, mes racines est-européennes. C’est un moment où tout est accessible. C’est la possibilité de l’amour. Le rêve que je n’osais pas formuler. La perspective plus qu’audacieuse d’UNE Europe qui n’était pas qu’une idée politique mais quelque chose de concret et palpable. Une victoire immense sur la haine.

Le 9 novembre 89, je suis avec de très bons amis d’origine yougoslave – grâce à qui je rencontrerai l’homme qui est à mes côtés. Je ne sais pas encore – eux non plus d’ailleurs – qu’ils seront bientôt considérés comme des traîtres quant ils dénonceront la purification ethnique dans les Balkans. C’est avec eux, chez eux, que je fête la chute du mur. Il ne pouvait y avoir meilleure compagnie. On parle la même langue, on ressent les mêmes choses. On est tous de “là-bas”. J’ai des frissons toute la soirée.

Je suis incapable de détacher mes yeux de la télévision. Je téléphone à ma mère. Je ne suis pas seulement bouleversée, c’est mon monde qui se redessine.

Au moment de la chute du mur donc, après ma mère, ma première pensée va à mes grands-parents paternels (les hongrois, ceux qui ne sont pas partis en 1956, ceux qui ont choisi de rester parce que c’était leur vie). Instantanément, ils sont plus accessibles, entre eux et nous, le mur est tombé. Je me souviens très précisément, je me suis dit “on n’aura plus besoin de leur apporter des oranges”. C’est absurde, le mur de Berlin tombe, et les oranges déferlent sur Budapest.

Bizarrement c’est à eux que je pense et non aux membres de ma famille allemande, qui vit à Hambourg depuis sa fuite. C’est comme si cela ne les concernait pas vraiment, comme si eux ne pouvaient pas comprendre, comme si pour eux, rien ne changerait vraiment.

La chute du mur, ce n’est pas une histoire allemande, c’est pour moi une histoire est-européenne.

Le soir de la chute du mur, je tremble à l’idée qu’il disparaisse, qu’il n’en reste plus rien. Je veux des traces du mur. Je m’y attache. Cette peur ne m’a pas quittée, comme on tremble face à l’idée de la destruction d’une maison où on a passé une partie de son enfance.

Enfant puis adolescente, die Berliner Mauer me fascine. Adulte, je le partage avec mon bien-aimé, j’emmène mes enfants en voir des traces, je le raconte.

Il n’est plus mais il fait partie de mon héritage étrangement lourd et douloureux. Pas un voyage à Berlin sans que j’aille vérifier qu’il est encore là et que je peux le toucher.

Récit de voyage : dans un taxi entre le Kosovo et la Serbie (2013)

© Antoine Jaccoud

Nous sommes en février. Je voyage en taxi de Kraljevo, une ville au centre de la Serbie, vers le Kosovo, avec Shpresim, un Albanais Kosovar qui travaille pour une ONG. Nous nous sommes rendus ensemble en Serbie pour une réunion. Shpresim n’aime pas aller en Serbie. Mais il fait son travail avec cœur et il ne laisse pas paraître ses sentiments, il est très poli, jovial, il parle parfaitement français avec un accent belge et serbo-croate. Il peut donc discuter avec les étrangers, voisins détestés ou pas. A l’aller, le passage de frontières avait été compliqué, il nous avait fallu des dérogations du ministère de l’intérieur serbe qui ne reconnaît pas le Kosovo et donc pas ses tampons ni ses passeports. Nous avons cinq heures de route. Dans ces trajets qui durent, l’informel s’installe inévitablement. On finit toujours par se livrer plus qu’on ne le voulait, emporté par le corps qui se détend, l’esprit qui vagabonde. Shpresim et Dragan, notre chauffeur serbe, discutent. Les deux hommes, désignés comme d’évidents ennemis par les schémas des guerres des années 90, éclusent progressivement tous les sujets habituels à deux ex-yougoslaves qui ne se connaissent pas (c’est un enchaînement fluide, comme dans une partition bien connue, les mouvements et les respirations s’enchaînent, sans fausse note mais sans surprise, c’est partout pareil quel que soit le lieu en ex-Yougoslavie et qu’elle que soit la nationalité des protagonistes). Les sujets de la discussion sont dans l’ordre :

1) les équipes de foot, le sport, les prochains matchs, tournois, les joueurs, leurs salaires ;

2) et c’est dur aujourd’hui, le chômage, la vie est si chère, les salaires sont misérables, et les retraites, on ne s’en sort pas, « mon cousin », « ma tante », heureusement qu’il y a de la famille à l’étranger qui nous envoie de l’argent, les hommes politiques eux, ils ne connaissent pas les difficultés de la vie, tous corrompus ;

3) et c’était tellement mieux sous Tito : la paix, la vie était belle, on ne manquait de rien, on allait d’un bout à l’autre de la Yougoslavie, on avait un grand et beau pays, et des passeports, la possibilité de voyager sans visa partout, on était si heureux ;

4) et dire que la Roumanie, la Roumanie !!! (sous-entendu : ces culs-terreux !) est entrée dans l’Union européenne avant « nous » (nous, les « Yougoslaves »), c’est impensable.

Habituellement, après cette séquence immuable, que j’ai entendue des dizaines de fois, il y a un silence gêné qui dure et qui ne sait pas comment se rompre. Car tous deux le savent. Tous les sujets de consensus ont été abordés. Il n’y a qu’un seul sujet qui a été tu, et de taille : la guerre. Là aussi, le silence s’installe. Et puis, tout d’un coup, Shpresim et Dragan se parlent, chacun raconte sa guerre avec une grande douleur et une grande douceur aussi. Chacun raconte sa tristesse et sa souffrance. Et ils s’écoutent. Et moi je les écoute, j’ai la chair de poule, ma poitrine se serre. C’est un moment unique. Dans ce vieux taxi qui roule vers Mitrovica, sur des routes vides et désertes mais qui sont pour tous les deux remplies de souvenirs. Voilà que les 5 heures ont filé sous nos doigts. Nous arrivons déjà devant le pont de Mitrovica, qui symbolise la division entre le Nord et le Sud du Kosovo et qu’aucune voiture serbe ne s’avise jamais de traverser – tout le monde traverse ce pont à pied et change de voiture de l’autre côté, Shpresim dit alors à Dragan, « Vas-y, avance, traverse ». Nous avançons en silence sur ce pont interdit et de l’autre côté nous attend un autre taxi albanais kosovar qui doit nous amener à Pristina. Nous descendons de la voiture, Dragan sort pour nous donner nos valises, et là, Shpresim présente Dragan au chauffeur albanais afin qu’ils se serrent la main et il dit simplement : « Voici Dragan, mon ami ». C’est tout. Aucune effusion. Mais une émotion immense. Je ne sais pas s’ils se reverront, eux non plus, mais une brèche s’est ouverte.